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montant de la dette publique
qui est responsable de l’explosion de l’endettement
peut-on parler de surendettement ?

Présentation des comptes publics 2010 et de l’historique de leur évolution

I) Préambule

Ce document présente en 2010 et sur la période 2000-2010 les recettes et dépenses publiques (Etat, Collectivités locales, Sécurité Sociale).

source : fichier t_3201 de l’INSEE.

II) L’année 2010

1) Les dépenses  (1 095 Mds)

Elle se composent de frais de fonctionnement (379 Mds), de frais financiers (49 Mds), de transferts (606 Mds de dépenses sociales principalement) et d’investissements (61 Mds).

  • Les dépenses de fonctionnement sont, comme leur nom l’indique, les dépenses nécessaires au fonctionnement quotidien de l’Etat, la Sécurité Sociale et les collectivités locales. 
  • Les frais financiers représentent les intérêts à payer sur la dette publique .
  • Les investissements représentent les acqusitions de terrains, immeubles… 
  • Les transferts représentent les versements exécutés au bénéfice des citoyens au titre des aides sociales, prise en charge des frais de maladie… Prélever pour redistribuer ne s’analyse pas de la même façon que prélever pour investir ou pour payer des dépenses de fonctionnement ; prélever pour redistribuer est un choix de modèle social ; il permet de gommer un certain nombre d’inégalités sociales, jugée inacceptables; chaque nation fait le sien et il est respectable, dès lors qu’il est accepté par l’ensemble des citoyens.

Ces dépenses représentent 56.7% du PIB (richesse annuelle produite) en 2010.

Pour son montant de dépenses publiques en % du PIB, La France est 1ère en Europe, à égalité avec la Suède et très loin devant la moyenne européenne (46.8%) , l’Allemagne (43.7%)  de l’Italie (48.7%).

source documentaire de ce classement : rapport 2010 de la Direction Générale des Collectivités Locales, page 121 (les formules de calcul de ce tableau sont fausses… j’espère que le total est bon !!)

Quelle conclusion tirer de cette 1ère place ? quatre explications possibles :

  • Le périmètre de l’action publique en France est plus étendu que dans d’autres pays (certaines activités peuvent être réalisées dans d’autres pays par des entreprises privées; par exemple le nettoyage des collèges en France est réalisé par des fonctionnaires, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays).
  • Les transferts sociaux sont plus importants en France que dans les autres pays; les transferts sociaux prélèvent de l’argent aux contribuables, aux salariés et aux entreprises pour le redistribuer en fonction de critères de fragilité sociale (aide au logement…).
  • L’action publique en France investit plus que dans les autres pays européens
  • L’action publique en France est moins efficace que dans d’autres pays, et dépense plus pour produire le même service.

Quatre explications possibles, quatres explications plausibles ; reste à savoir dans quelles proportions : je ne sais pas dire si la principale explication tient à une action publique plus étendue, moins efficace ou à une fonction redistributive plus développée (je ne crois pas à l’explication sur les investissements, voir ci-dessous): je lance donc un appel aux lecteurs !!

2) les recettes  ( 958 Mds)

Elles se composent principalement d’impôts et de cotisations sociales ; ces recettes, en % du PIB, représentent un taux de 49.6% qu’on appelle le taux des prélèvements obligatoires : ce taux définit la part des richesses nationales prélevée sous forme d’impôts et de cotisations sociales pour financer l’action publique; il fait l’objet de comparaisons entre Etats.

 

3) solde recettes-dépenses

Ce solde est négatif, à hauteur de 137 Mds.

 

III) L’évolution sur la période 2000-2010

 1) L’évolution comparée des recettes et des dépenses

 

Cette évolution comparée parle d’elle-même; les dépenses dépassent les recettes de 22 Mds en 2000 (soit 3.0% des recettes), de 7.3% en 2004 ; à compter de la crise bancaire des subprimes fin 2008 et ses conséquences sur l’économie réelle, l’écart se creuse à 15.4% en 2009 et 14.3% en 2010 (137 Mds quand même !!).

 Pour rendre les choses encore plus claires, voici la courbe du solde recettes- dépenses depuis 2000  … (no comment !!)

 

2) Les dépenses par nature

 Elles augmentent de 47% sur la période 2000-2010, tandis que le PIB (la richesse nationale produite)  n’augmente que de 34% ; dans le détail sur 2000-2010 :

  • Les dépenses de fonctionnement augmentent de 39%, plus vite que le PIB.
  • Les intérêts de la dette n’augmentent que de 14%, alors que la dette explose durant la période ( +92% : 827 Mds => 1 591 Mds) ; l’explication se trouve dans la réduction des taux d’intérêts auxquels la France emprunte.
  • Les prestations et transferts sociaux sont en hausse de 58%, très supérieure à la croissance du PIB.
  • Les investissements sont en hausse de 32%, inférieure au PIB.

recherchons les causes de la hausse plus rapide des dépenses publiques par rapport au PIB :

  • Sur la période 2000-2010 l’action publique n’a pas étendu son périmètre d’intervention, même si des transferts sont intervenus entre l’Etat et les collectivités : ce n’est pas une explication.
  • Les investissements ont augmenté en %  moins vite que le PIB : ce n’est pas non plus une explication.
  • Le coût de l’endettement n’est pas une explication, au contraire il ralentit la hausse des dépenses publiques.

 les deux causes sont donc :

  • Une très légère détérioration de l’efficacité relative de l’action publique pour assurer le service (voir l’évolution des coûts de fonctionnement, en hausse de 39% sur 10 ans soit une hausse moyenne annuelle de 3.3% pendant 10 ans); la hausse moyenne annuelle n’est pas si élevée, mais en tendance sur 10 ans elle ne peut dépasser celle du PIB (34%), sauf à créer des déséquilibres difficiles à résoudre.
  •  Une forte croissance de la redistribution des richesses par l’action publique : c’est la principale cause ! le citoyen que je suis découvre que la France a fait le choix d’augmenter sa fonction de redistribution depuis 10 ans ; pourquoi pas ! En fait c’est une tendance lourde  : les transferts sociaux représentaient 20% du PIB en 1970, 23% en 1980, 25% eu 1980, 27% en 2000 et 31% en 2010 : je nous invite tous à réfléchir sur « jusqu’où ne pas aller trop loin dans les transferts sociaux ».

remarque : l’année 2002 porte une lourde responsabilité dans l’évolution des dépenses sur la dernière décennie :  les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 5,3%, les transferts sociaux de 6.3% par rapport à 2001; l’année 2009 également : les dépenses de fonctionnement augmentent de 4.2% et les transferts sociaux de 6.4% par rapport à 2008; je n’ai pas d’explication pour 2002 ni pour 2009 (année où le PIB est en repli de 2.3%).

3) Les recettes par nature

les recettes sont prinpalement de 2 natures : les impôts et les cotisations sociales.

 

IV) Evolution des dépenses publiques (au sens de Maastricht) de fonctionnement de la France depuis 1960

Les dépenses de fonctionnement représentent le seul coût de fonctionnement de la gouvernance nationale et locale de la France (Etat, collectivités locales et administrations sociales) ; il est intéressant d’évaluer la quote part du PIB qu’elles représentent.

  • Elles sont en forte augmentation sur la période 1960-1980, puisqu’elles passent de 14.4% du PIB à 18,7%.
  • Elles augmentent encore, de façon beaucoup plus modérée, entre 1980 et 2010 (19.6%) du PIB.
  • Elles sont quasiment stables sur le décennie 2000-2010, autour de 19.5% du PIB.

Ainsi 1/5 de la richesse nationale produite chaque année sert à financer le coût de fonctionnement de la seule gouvernance de la France; je n’ai pas de comparaison avec d’autres pays à vous proposer; difficile donc de conclure… mais 1/5 ou 20% c’est incontestablement significatif !!

V) Evolution du montant des intérêts dans les dépenses publiques (au sens de Maastricht) de la France depuis 1960

 Les intérêts de la dette, en % du PIB, ont varié entre 0.5% et 3.6% du PIB selon les années; le taux maximum était en …1996, le taux le plus faible en 1972, l’année précédant le 1er choc pétrolier.

En 2010 les intérêts de la dette représentent 2.4% du PIB. 

Conclusion :

Il est intéressant de noter que l’augmentation, en % du PIB, des dépenses de fonctionnement sur la période 1960-2010  ( +5.2% de PIB) est très supérieur à la hausse en % du PIB des intérêts (+1.2% de PIB) : elle a pesé 4.5 fois plus…

La dette a explosé, mais la charge d’intérêts est resté très contenue, gràce à des taux exceptionnellement bas (pourvu que çà dure !!); en revanche une reflexion s’impose sur les coûts de fonctionnement, dont la croissance est tout à fait anormale.

Niveau des prélèvements obligatoires en 2010 – historique de leur évolution

I) Montant des prélèvements obligatoires en 2010 – quote-part des différents bénéficiaires

Le taux des prélèvements obligatoires est calculé en % du PIB : il mesure la part de la richesse nationale créée chaque année qui est prélevée :

  • pour assurer le financement des missions de l’Etat, des collectivités locales et de l’Union Européenne
  • pour procéder aux opérations de solidarité entre Français
  • pour financer la politique familiale

 Voyons les principaux chiffres actuels : 

Prélèvements obligatoires des administrations publiques et des institutions européennes
nd : données non disponibles.
(1) : après transferts de recettes fiscales et nets des impôts dûs non recouvrables.
(2) : nettes des cotisations dues non recouvrables.
Source : Insee, comptes nationaux – base 2005.
  2009 2010
  en Mds d’euros en % du PIB en Mds d’euros en % du PIB
Les administrations publiques centrales 232,3 12,3 280,7 14,5
dont l’État 219,3 11,6 265,9 13,8
dont Impôts (1) 211,6 11,2 258,3 13,4
dont Cotisations sociales 7,8 0,4 7,6 0,4
dont les Organismes divers d’administration centrale (Odac) 13,0 0,7 14,7 0,8
Administrations publiques locales 116,5 6,2 88,6 4,6
Administrations de sécurité sociale 441,7 23,4 448,5 23,2
dont Impôts (1) 135,8 7,2 136,2 7,0
dont Cotisations sociales (2) 305,9 16,2 312,3 16,2
Institutions de l’Union européenne 3,8 0,2 4,4 0,2
Total 794,3 42,0 822,1 42,5

 Ce tableau présente sur 2009 et 2010, pour les 4 bénéficiaires de prélèvements obligatoires (en gras), les montants collectés en valeur et en % du PIB; plusieurs constatations :

  • Le total des prélèvements obligatoires représente 42.5% du PIB en 2010.
  • Les administrations de sécurité sociale sont le 1er bénéficiaire (448 Mds d’€ en 2010), pour un montant supérieur à la somme des administrations publiques centrales et des collectivités locales (369 Mds en 2010).
  • La part des prélèvements obligatoires à destination des administrations sociales représente 55% du total; par ailleurs une part significative (à évaluer) des prélèvements à destination des collectivités locales et de l’Etat est à vocation sociale, et ne sert pas à financer leurs missions; ceci signifie que très probablement de l’ordre des 2/3 des prélèvements obligatoires (soit 28% du PIB) sont à vocation sociale (assurance contre les risques de la vie et solidarité).

remarque : comme les budgets des administrations publiques centrales, locales et de sécurité sociale sont en déficit, cela signifie que les dépenses sont supérieures aux recettes (élémentaire mon cher Watson !!). Ceci signifie que les montants redistribués au nom de l’action sociale (les dépenses) sont supérieurs aux 28% du PIB ci-dessus (voir rubrique dépenses publiques).

 II) Historique de l’évolution du taux des prélèvements obligatoires en % du PIB

 

    1 960 1 970 1 980 1 990 2 000 2 005 2 010
gouvernance de la Nation (APC,APL,UE)   21,9 21,4 22,8 22,8 22,7 22,4 19,3
Administrations de sécurité sociale    8,7 12,7 17,4 18,8 21,5 21,4 23,2
total   30,6 34,1 40,2 41,6 44,2 43,8 42,5
                 
Administrations sociales en % du total   28% 37% 43% 45% 49% 49% 55%

 Ce tableau présente, sur les 50 dernières années :

  • L’évolution en % du PIB des prélèvements obligatoires à destination des structures de gouvernance (Administrations publiques centrales, locales et Union Européenne) et des administrations de sécurité sociale.
  • La part du total des prélèvements obligatoires perçue par les administrations de sécurité sociale

Les principales constatations :

  • L’essentiel de la croissance du % des prélèvements entre 1960 et 2010 se fait entre 1960 et 1980.
  • Les prélèvements obligatoires à destination de la gouvernance sont en baisse entre 1960 et 2010 (19.3% en 2010 pour 21.9% en 1960); pour autant attention à ne pas conclure à une gouvernance moins coûteuse, puisqu’il s’agit là des recettes de son financement, et non pas des dépenses de gouvernance; pour éclairer ce point les dépenses de gouvernance de 1960 s’élèvent à 21.3% du PIB (0.6% du PIB d’éxcédent budgétaire cette année-là) tandis que les dépenses de gouvernance de 2010 s’élèvent à 24.3% du PIB (5% du PIB de déficit budgétaire cette année-là). Pour plus de détail, se référer aux articles dans la rubrique des dépenses publiques.
  • la croissance de la part des administrations sociales explique l’intégralité de la croissance du total entre 1960 et 2010, plus même, puisque la part à destination des structures de gouvernance est en baisse .
  • Les prélèvements à destination des administrations sociales, en % du PIB,  sont en hausse de 100% sur la période 1960 – 1980, en hausse de 25% (arrondi) entre 1980 et 2000 et de 8% entre 2000 et 2010.

 conclusions :

Je répète qu’il est faux de qualifier de dépenses publiques celles qui sont financées par ces prélèvements à destination sociale, puisque ces prélèvements financent une redistribution à  des ayant droits (je ne vais pas ici en faire la liste) au titre des principes de notre solidarité nationale .

Je vous avoue ma surprise, face à la fois à la croissance depuis 50 ans et au poids aujourd’hui des prélèvements à destination sociale; à méditer…celà  fera l’objet d’un prochain article !!

 

Comprendre les prélèvements obligatoires

I) Définition des prélèvements obligatoires

Selon la définition de l’Insee, « les prélèvements obligatoires sont les impôts et cotisations sociales effectives reçues par les administrations publiques et les institutions européennes ».

Toujours selon l’Insee les cotisations sociales effectives sont  » l’ensemble des versements que les individus et leurs employeurs effectuent aux administrations de sécurité sociale et aux régimes privés ».

Pour reformuler de façon plus simple ce sont l’ensemble des impôts et cotisations payés par les Français et les entreprises.

 

II) Bénéficiaires des prélèvements obligatoires

En 2010 quatre catégories d’administrations publiques encaissent  les prélèvements obligatoires; dans l’ordre d’importance décroissante :

Les administrations sociales (55% du total), l’Etat et les organismes associés (1/3), les collectivités locales (10%), l’Union Européenne (1%).

 

III) A quoi servent les prélèvements obligatoires ?

 1) Financer les missions que la nation française a délégué à ses gouvernants nationaux et locaux.

Ces missions sont les missions de l’Etat et des collectivités locales; notamment les missions régaliennes de sécurité intérieure et extérieure, de justice, d’éducation…

Il s’agit ici bien de dépenses publiques, dont on apprécie ensuite la bonne adéquation avec le niveau de qualité obtenu par l’Etat dans l’exécution de ses différentes missions.

Les trois usages qui suivent sont de nature totalement différente; les bénéficiaires publics des prélèvements obligatoires (l’Etat mais surtout les administrations sociales) exercent une mission de redistribution d’argent entre les Français afin :

2) de soutenir les citoyens frappés par des accidents de la vie (maladie, invalidité…), au titre d’un principe d’assurance mutuelle,

3) de financer une politique familiale favorisant la natalité,

4) de redistribuer de la richesse entre les citoyens pour permettre aux plus pauvres de vivre dans des conditions décentes ;  cette redistribution se fait au nom du principe d’égalité entre les citoyens, qui ne se satisfait pas d’écarts trop  importants de richesse entre les citoyens.

1ère remarque :  il est important de bien comprendre que les prélèvements obligatoires au titre des usages 2,3 et 4 sont redistribués à des Français; à ce titre ce ne sont pas des dépenses publiques.

2ème remarque : ces choix de redistribution sont à faire par chaque nation, en fonction de la sensibilité des citoyens sur les questions de solidarité et d’écart acceptable entre les plus riches et les plus pauvres; chaque nation fait ses propres choix.

 

Conseils à Louis XVI d’un certain Turgot, Ministre des Finances, en 1774 : à méditer…

source : site de l’Association Nationale des Dirigeants Agences Comptables (Andac) : http://www.andac.info/spip.php?article283

Lettre de Turgot au roi Louis XVI, en prenant possession de la place de contrôleur général des Finances du royaume

Lettre citée dans le livre : « Le budget de l’Etat » de Jean Rivoli, paru aux éditions Points Economie, Seuil, 1975

« Sire, en sortant du cabinet de Votre Majesté, encore tout plein du trouble où me jette l’immensité du fardeau qu’elle m’impose, agité par tous les sentiments qu’excite en moi la bonté touchante avec laquelle elle a daigné me rassurer, je me hâte de mettre à ses pieds ma respectueuse reconnaissance et le dévouement absolu de ma vie entière.

Votre Majesté a bien voulu m’autoriser à remettre sous ses yeux l’engagement qu’elle a pris avec elle-même, de me soutenir dans l’exécution des plans d’économie qui sont en tout temps, et aujour­d’hui plus que jamais, d’une nécessité indispensable. J’aurais dé­siré pouvoir lui développer les réflexions que me suggère la posi­tition où se trouvent les finances ; le temps ne me le permet pas, et je me réserve de m’expliquer plus au long quand j’aurai pu pren­dre des connaissances plus exactes.

Je me borne en ce moment, Sire, à vous rappeler ces trois paroles : Point de banqueroute ; Point d’augmentation d’impôts ; Point d’emprunts.

Point de banqueroute, ni avouée, ni masquée par des réductions forcées.

Point d’augmentation d’impôts, la raison en est dans la situation de vos peuples, et encore plus dans le cœur de Votre Majesté.

Point d’emprunts, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre ; il nécessite au bout de quelque temps ou la banque­route, ou l’augmentation des impositions. II ne faut en temps de paix se permettre d’emprunter que pour liquider les dettes anciennes, ou pour rembourser d’autres emprunts faits à un denier plus oné­reux.

Pour remplir ces trois points, il n’y a qu’un moyen. C’est de ré­duire la dépense au-dessous de la recette, et assez au-dessous pour pouvoir économiser chaque année une vingtaine de millions, afin de rembourser les dettes anciennes. Sans cela, le premier coup de canon forcerait l’État à la banqueroute.

On demande sur quoi retrancher ; et chaque ordonnateur, dans sa partie, soutiendra que presque toutes les dépenses particulières sont indispensables. Ils peuvent dire de fort bonnes raisons ; mais comme il n’y en a pas pour faire ce qui est impossible, il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l’économie.

Il est donc de nécessité absolue que Votre Majesté exige des or­donnateurs de toutes les parties qu’ils se concertent avec le ministre de la finance. II est indispensable qu’il puisse discuter avec eux en présence de Votre Majesté le degré de nécessité des dépenses propo­sées. II est surtout nécessaire que, lorsque vous aurez, Sire, arrêté l’état des fonds de chaque département, vous défendiez à celui qui en est chargé, d’ordonner aucune dépense nouvelle sans avoir aupa­ravant concerté avec la finance les moyens d’y pourvoir. Sans cela, chaque département se chargerait de dettes qui seraient toujours des dettes de Votre Majesté, et l’ordonnateur de la finance ne pourrait répondre de la balance entre la dépense et la recette. Votre Majesté sait qu’un des plus grands obstacles à l’économie, est la multitude des demandes dont elle est continuellement assaillie, et que la trop grande facilité de ses prédécesseurs à les accueillir, a malheureusement autorisées.

Il faut, Sire, vous armer contre votre bonté de votre bonté même ; considérer d’où vous vient cet argent que vous pouvez distribuer à vos courtisans, et comparer la misère de ceux auxquels on est quelquefois obligé de l’arracher par les exécutions les plus rigoureuses, à la situation des personnes qui ont le plus de titres pour obtenir vos libéralités.

Il y a des grâces auxquelles on a cru pouvoir se prêter plus aisé­ment, parce qu’elles ne portent pas immédiatement sur le Trésor royal. De ce genre sont les intérêts, les croupes, les privilèges ; elles sont de toutes les plus dangereuses et les plus abusives. Tout profit sur les impositions qui n’est pas absolument nécessaire pour leur per­ception, est une dette consacrée au soulagement des contribuables, ou aux besoins de l’État. D’ailleurs, ces participations aux profits des traitants sont une source de corruption pour la noblesse, et de vexation pour le peuple, en donnant à tous les abus des protecteurs puissants et cachés.

On peut espérer de parvenir, par l’amélioration de la culture, par la suppression des abus dans la perception, et par une répartition plus équitable des impositions, à soulager sensiblement le peuple, sans diminuer beaucoup les revenus publics ; mais si l’économie n’a précédé, aucune réforme n’est possible, parce qu’il n’en est aucune qui n’entraîne le risque de quelque interruption dans la marche des recouvrements, et parce qu’on doit s’attendre aux embarras multi­pliés que feront naître les manœuvres et les cris des hommes de toute espèce intéressés à soutenir les abus ; car il n’en est point dont quel­qu’un ne vive.

Tant que la finance sera continuellement aux expédients pour as­surer les services, Votre Majesté sera toujours dans la dépendance des financiers, et ceux-ci seront toujours les maîtres de faire man­quer, par des manœuvres de place, les opérations les plus impor­tantes. Il n’y aura aucune amélioration possible, ni dans les impo­sitions, pour soulager les contribuables, ni dans aucuns arrangements relatifs au gouvernement intérieur et à la législation. L’autorité ne sera jamais tranquille, parce qu’elle ne sera jamais chérie ; et que les mécontentements et les inquiétudes des peuples sont toujours le moyen dont les intrigants et les malintentionnés se servent pour exciter des troubles. C’est donc surtout de l’économie que dépend la prospérité de votre règne, le calme dans l’intérieur, la considé­ration au dehors, le bonheur de la nation et le vôtre.

Je dois observer à Votre Majesté que j’entre en place dans une conjoncture fâcheuse, par les inquiétudes répandues sur les subsistances : inquiétudes fortifiées par la fermentation des esprits depuis quelques années, par la variation des principes des administrateurs, par quelques opérations imprudentes, et surtout par une récolte qui paraît avoir été médiocre. Sur cette matière, comme sur beaucoup d’autres, je ne demande point à Votre Majesté d’adopter mes principes, sans les avoir examinés et discutés, soit par elle-même, soit par des personnes de confiance en sa présence ; mais quand elle en aura reconnu la justice et la nécessité, je la supplie d’en maintenir l’exé­cution avec fermeté, sans se laisser effrayer par des clameurs qu’il est absolument impossible d’éviter en cette matière, quelque système qu’on suive, quelque conduite qu’on tienne.

Voilà les points que Votre Majesté a bien voulu me permettre de lui rappeler. Elle n’oubliera pas qu’en recevant la place de contrô­leur-général, j’ai senti tout le prix de la confiance dont elle m’honore ; j’ai senti qu’elle me confiait le bonheur de ses peuples, et, s’il m’est permis de le dire, le soin de faire aimer sa personne et son autorité.

Mais en même temps j’ai senti tout le danger auquel je m’exposais. J’ai prévu que je serais seul à combattre contre les abus de tout genre, contre les efforts de ceux qui gagnent à ces abus ; contre la foule des préjugés qui s’opposent à toute réforme, et qui sont un moyen si puissant dans les mains des gens intéressés à éterniser le désordre. J’aurai à lutter même contre la bonté naturelle, contre la générosité de Votre Majesté et des personnes qui lui sont les plus chères. Je serai craint, haï même de la plus grande partie de la cour, de tout ce qui sollicite des grâces. On m’imputera tous les refus ; on me peindra comme un homme dur, parce que j’aurai représenté à Votre Majesté qu’elle ne doit pas enrichir même ceux qu’elle aime, aux dépens de la subsistance de son peuple.

Ce peuple auquel je me serai sacrifié est si aisé à tromper, que peut-être j’encourrai sa haine par les mesures mêmes que je prendrai pour le défendre contre la vexation. Je serai calomnié, et peut-être avec assez de vraisemblance pour m’ôter la confiance de Votre Majesté. Je ne regretterai point de perdre une place à laquelle je ne m’étais jamais attendu. Je suis prêt à la remettre à Votre Majesté dès que je ne pourrai plus espérer de lui être utile ; mais son estime, la réputation d’intégrité, la bien­veillance publique qui ont déterminé son choix en ma faveur, me sont plus chères que la vie, et je cours le risque de les perdre, même en ne méritant à mes yeux aucun reproche.

Votre Majesté se souviendra que c’est sur la foi de ses promesses que je me charge d’un fardeau peut-être au-dessus de mes forces, que c’est à elle personnellement, à l’homme honnête, à l’homme juste et bon, plutôt qu’au roi, que je m’abandonne.

J’ose lui répéter ici ce qu’elle a bien voulu entendre et approuver. La bonté attendrissante avec laquelle elle a daigné presser mes mains dans les siennes, comme pour accepter mon dévouement, ne s’effacera jamais de mon souvenir. Elle soutiendra mon courage. Elle a pour jamais lié mon bonheur personnel avec les intérêts, la gloire et le bonheur de Notre Majesté.

C’est avec ces sentiments que je suis, Sire, etc.

Anne Robert Jacques Turgot Compiègne, 24 août 1774  »

Pourquoi la dette publique française pose problème ?

 I) Quelques notions de base sur l’endettement

1) Que signifie précisément s’endetter ?

S’endetter c’est emprunter de l’argent à quelqu’un pour payer quelque chose .

S’endetter c’est aussi s’engager à rembourser la somme empruntée dans un certain délai, augmentée d’un certain montant, qu’on appelle les intérêts.

2) Pourquoi une entreprise, un Etat ou un particulier décide-t-il de s’endetter ?

On s’endette principalement pour financer des dépenses que l’on ne peut assumer avec ses seules ressources financières propres .

On ne devrait accepter de s’endetter que si on est confiant dans sa capacité future à rembourser sa dette ; cette capacité future provient souvent de nouveaux revenus obtenus grâce à l’achat financé par la dette, ou de dépenses évitées ; je m’explique :

1er exemple : un boulanger s’endette pour acheter un nouveau four à pain lui permettant de doubler sa production quotidienne : le surcroit de recettes de vente de pain doit lui permettre de rembourser sa dette et de gagner plus d’argent :

=> s’endetter dans ce cas a un effet positif sur l’activité de la boulangerie, en permettant de la développer : c’est vertueux (les financiers parlent d’effet de levier de la dette); attention c’est vertueux si la croissance des recettes est au rendez-vous ; sinon la dette accroit les difficultés !!

2ème exemple : un particulier locataire s’endette pour acheter sa résidence principale : l’économie de loyer va lui permettre de rembourser tout ou partie de sa dette, et peu à peu il devient propriétaire de sa résidence principale : c’est vertueux.

 

3) Est-ce une bonne ou une mauvaise décision que de s’endetter ?

Le paragraphe précédent présente deux exemples d’endettement vertueux; troisième exemple :

 un particulier prend un crédit à la consommation (= s’endette) pour s’acheter du mobilier : il ne peut compter sur aucun nouveau revenu ou baisse de dépenses lié à son achat ; donc soit il anticipe une augmentation de salaire, soit il devra demain se serrer un peu plus la ceinture en diminuant ses dépenses pour rembourser le crédit et ses intérêts; ce n’est pas vertueux !

=> je conseille ainsi à chacun d’éviter les crédits à la consommation, coûteux en taux d’intérêt et qui conduisent beaucoup de Français aux revenus modestes à des situations de surendettement.

Ainsi s’endetter c’est utiliser un moyen de financement ; un moyen n’est ni bon ni mauvais dans l’absolu, tout dépend de l’usage de celui qui l’utilise.

4) De combien peut-on raisonnablement s’endetter ?

On est raisonnablement endetté dès lors qu’on a la capacité d’assumer ses dépenses courantes et ce qu’on appelle « le service de la dette » (c’est  le remboursement progressif du montant emprunté et le paiement des intérêts).

On peut donc calculer pour chacun ce que représente un endettement raisonnable :

  • Les banques ont développé des logiciels leur permettant de déterminer le montant raisonnable de prêt à consentir à un particulier pour acquérir une résidence principale.
  • Une entreprise également sait calculer le service raisonnable de la dette qu’elle peut supporter sans risquer de se trouver dans l’incapacité de faire face à l’ensemble de ses dépenses .

remarque : l’expression « service de la dette » est très intéressante, puisqu’elle montre qu’une fois endetté l’emprunteur se met au service de la dette : qui s’endette perd ainsi une part de sa liberté !!

5) Conclusion

Deux points d’attention lorsqu’on décide de s’endetter :

1er point : Est-ce qu’on s’endette pour une bonne raison ?

  • Pour financer des dépenses courantes : mauvaise raison
  • Pour financer quelque chose dont on attend un retour (nouveaux revenus, baisse de dépenses) : bonne raison

2ème point : Le poids du service de la dette est-il supportable ?

 => il faut bien dimensionner le montant de sa dette , son taux d’intérêt et ses conditions de remboursement (principalement la durée).

 

II) Examen de la dette publique française à la lumière de ces quelques notions de base

à venir…

1er point : Est-ce que la dette publique française a été levée pour de « bonnes raisons « ?

2ème point : Le poids du service de la dette est-il supportable ?

 

 

Les comptes publics : de quoi s’agit-il ?

Le périmètre des comptes publics regroupe à la fois les comptes de l’Etat, des Administrations Publiques Centrales (diverses agences et instituts, écoles supérieures et universités…) des Collectivités Locales et de la Sécurité Sociale.

Ces différentes structures publiques ont des recettes issues de l’impôt local, national et des cotisations sociales pour la Sécurité Sociale.

Elles engagent des dépenses, à la fois pour assurer leur fonctionnement et assumer différentes missions de soutien aux entreprises et aux citoyens.

Le budget de l’année présente les recettes et dépenses prévisionnelles ; il est en excédent lorsque les recettes dépassent les dépenses ; il est en déficit dans le cas contraire.

Les organismes publics ont la capacité de recourir à l’emprunt, et donc de s’endetter, pour financer certaines actions.

De l’intérêt d’analyser les comptes publics de façon globale

Analyser les comptes publics dans leur ensemble  (Etat + collectivités locales + Sécurité Sociale) permet d’éviter les risques d’erreur liés à l’évolution dans le temps des missions de l’Etat et des collectivités locales :

En effet la répartition des missions de service public entre l’Etat et les collectivités locales a varié dans le temps sous l’effet des différentes lois dites de décentralisation ; variation de la répartition des missions signifie également des changements dans les budgets de chacun et des comparaisons difficiles d’une année sur l’autre.

Le 2ème intérêt de cette approche est de permettre des comparaisons avec d’autres pays, dont les missions de service public sont réparties de façon différente dela France entre le local et le national.

Historique de l’excédent/déficit des comptes publics depuis 1975 jusqu’à 2010

Les comptes publics sont en déficit permanent depuis 1975 (voir fichier Excel de l’Insee de référence : t_3106):

  • l’Etat est en perpétuel déficit depuis cette date ;
  • les collectivités locales ont été en déficit 29 années sur 36.
  • La Sécurité Sociale alterne déficit et excédent sur la période, sans tendance marquée.

Des pics de déficit en 1993 (6.5% du PIB) et en 2009 (7,5% du PIB).

L’Etat et les organismes associés représentent en moyenne 77% des déficits annuels depuis 1975.

 Le déficit public annuel moyen est égal à 3.1% du PIB depuis 1975 (donc supérieur au pire défini comme acceptable par le traité de Maastricht !!) ; le déficit moyen annuel de l’Etat est de 2.7% et celui des collectivités locales de 0.5 %.

Le déficit moyen des années 80 est de 2.4% du PIB, 3.9% pour les années 90 (décade marquée par la 1ère guerre du Golfe en 1993 mais aussi par un fort dynamisme dès 1994), 3.4% pour les années 2000-2005 et 4.6% pour les années 2006-2010.

 Depuis 35 ans l’économie française est passée par des périodes de crise, également par des périodes prospères (+3.4% de croissance moyenne du PIB durant la décade 1990-1999) : ces périodes prospères n’ont pas été mises à profit pour réaliser des budgets en excédent, pas même durant une seule année !!

Voilà bientôt deux générations que les comptes publics sont en déficit ; c’est devenu une habitude et une situation normale pour la plupart des Français (tous les Français de moins de 50 ans n’ont jamais entendu autre chose que l’annonce de déficits publics depuis qu’ils ont l’âge de s’intéresser à la question !!) :

C’est toute une éducation à faire sur le danger du déficit.

L’accumulation de ces déficits explique l’explosion de la dette, puisque chaque année il faut s’endetter pour trouver l’argent permettant de payer les dépenses en excédent par rapport aux recettes.